Coupe du monde de rugby 2023 – Le XV de France et l’arbitrage, dix Coupes du monde de polémiques

Après les désillusions de 1991, 1995 et 2011, l’édition 2023 est venue s’ajouter dans l’inconscient populaire au panthéon des grandes injustices subies tricolores en Coupe du monde. Forcément rageant même si, pour tout dire, l’arbitrage n’a toujours pas pesé du même poids sur tous les échecs des Bleus.

Comme Ben O’Keeffe l’a dit de lui-même dans une communication orchestrée par World Rugby, « tous les arbitres font certainement des erreurs dans le jeu, et les joueurs ont le droit de commenter ça après le match ». Le hic ? Il est qu’on en est trop souvent réduit à ça, sachant que toutes les défaites frustrante des Bleus en Coupe du monde (à l’exception des demi-finales de 2003 et 2007) ont toujours été accompagnées de leur lot de complaintes vis-à-vis des référés. Même celle de 2019, qui aurait pu paraître incontestable après le coup de coude de Vahaamahina, fut troublée par un arrachage de Tomos Williams sur Ollivon dont on est bien en peine, quatre ans plus tard, de savoir s’il était en-avant ou non… De quoi en conclure que, selon la vieille rengaine, le XV de France demeure le mal-aimé d’un rugby mondial dont les arcanes demeurent maîtrisées par un « complot » d’obédience « anglo-saxonne », terme fourre-tout utilisé par les supporters tricolores pour cataloguer les anglophones ? Même Philippe Saint-André, ancien capitaine et sélectionneur des Bleus, donnait ce jeudi l’impression de le penser sur le plateau de ViàMidol. « On organise une Coupe du monde en France et on quand même a un arbitrage extérieur, déplorait le Goret. En fin de match contre les Boks, quand il y a le break de Penaud, tu te dis « on joue à domicile, il y a 80 000 personnes, on est la deuxième nation mondiale… ». Il y a un ou deux rucks très rapides, où sincèrement des joueurs sud-africains se sont retrouvés en position de hors-jeu. Il aurait pu nous donner une dernière pénalité. » Des regrets forcément amplifiés par l’arbitrage de ce même Ben O’Keeffe une semaine plus tard qui, lors de cette demi-finale Angleterre-Afrique du sud, se décida brusquement à pénaliser les « plaqueurs traînards » springboks (5 pénalités sur 8)…

Après le quart de finale entre la France et l’Afrique du Sud, Ben O’keeffe a été longuement critiqué. Philippe Saint-André, ancien capitaine et sélectionneur du XV de France, n’a pas été tendre avec le Néo-Zélandais dans l’émission « viàMidol, la quotidienne » sur @viaOccitanietv pic.twitter.com/ao09mqVSRs

— RUGBYRAMA (@RugbyramaFR) October 20, 2023

Une balance déficitaire devant l’histoire

Au final ? Le nom du Néo-Zélandais, sévèrement conspué par le Stade frnaçais, est venu s’ajouter à ceux de Derek Bevan en 1995 ou Craig Joubert en 2011, renforçant une fois de plus ce sentiment de complot dans lequel se vautrent parfois par commodité les supporters et le XV de France, oubliant au passage que si World Rugby devait avoir un intérêt (financier) lors de cette Coupe du monde 2023, il était bien que les Bleus aillent au bout de leur rêve… Reste que le président de la Fédération Florian Grill lui-même a entretenu les sous-entendus, lorsqu’il affirmait que « gagner à très haut niveau nécessite de bosser partout et ça ne concerne pas que l’équipe de France, il faut que la FFR soit politique. […] Depuis trois mois, on a essayé de remonter cette pente-là, mais en réalité on n’est pas entendus. Et ce n’est pas en étant vice-président de World Rugby (fonction qu’occupait autrefois Bernard Laporte, N.D.L.R.) que ça change la donne, c’est en bossant dans les commissions et les groupes de travail. »

On pourrait toutefois rétorquer toutefois à Grill que lors du plus gros scandale jamais connu par le rugby français, à savoir la finale de la Coupe du monde 2011, le président de l’IRB était Bernard Lapasset. Alors, certes, on peut aussi nous répondre que si les Bleus ont payé un lourd écot à des arbitrages peu équitables, ils n’ont pas toujours été non plus dans le rôle de la victime. De quoi relativiser quelque peu, et espérer que même si la balance du « musée des erreurs » demeure largement déficitaire devant l’Histoire, le futur permettra de la rééquilibrer quelque peu. L’espoir fait vivre…

1991 : et Dubroca prit M. Bishop au collet…

C’est drôle comme, avec le recul, ce match préfigurait celui de 2023 trente-deux ans plus tard, entre des Bleus particulièrement nerveux, un adversaire bien décidé à les faire dégoupiller en multipliant les provocations et les chandelles, et un arbitre de nationalité néo-zélandaise… Lequel choisit, ce jour-là, de fermer les yeux sur les agressions répétées par l’ailier Heslop sur Blanco tout en sanctionnant à outrance les « réponses » françaises pas vraiment marquées du sceau de la finesse… Des Bleus qui finirent par dégoupiller totalement, l’entraîneur Daniel Dubroca se permettant même de prendre au collet M. Bishop à son retour aux vestiaires, avant d’être poussé à la démission par Albert Ferrasse, président de la FFR. Autres temps, autres mœurs…

1995 : Derek Bevan et l’ombre de Mandela

C’est l’histoire d’un match qui n’aurait jamais dû être joué, une tempête ayant rendu impraticable la pelouse de Durban. Sauf que… l’Afrique du Sud ayant subi deux cartons rouges lors d’une bagarre générale face à la Roumanie en poules, ce sont bien les Springboks qui auraient dû être éliminés sur tapis vert. Inimaginable pour le pays de Mandela, bien décidé à se servir de la Coupe du monde pour redorer son image post-apartheid à l’international. La pression imposée au Gallois M. Bevan fut ainsi énorme, lequel finit par y céder, avec les conséquences que l’on sait : un essai non valable accordé à Kruger, quatre refusés aux Français… Un épisode bizarrement ignoré par le film « Invictus », bien des années plus tard, qui valut à M. Bevan l’étrange récompense d’une montre en or offerte lors du banquet final par le président de la Fédération sud-africaine. Et le départ précipité de la réception des joueurs Français, Néo-Zélandais et Anglais, écœurés par ce triste spectacle…

2011 : Craig Joubert ou le vol des Kiwis

C’est probablement ici qu’il faut trouver le plus énorme scandale sportif dont fut victime le XV de France en Coupe du monde. Parce qu’il s’agissait d’une finale, bien sûr. Mais surtout parce que la prestation du Sud-africain Craig Joubert fut ce jour-là en-dessous de tout… Malgré une domination totale des Bleus lors du second acte, malgré des fautes au sol répétées de Néo-Zélandais pourrissant les rucks en toute impunité, jamais Joubert n’accorda aux Bleus la pénalité qu’ils uraient mérité, hormis une occasion très lointaine manquée par Trinh-Duc. À contrario, ce jour-là, la moindre exaction bleue fut signalée, faisant dire à tous les connaisseurs en matière d’arbitrage que Joubert avait « arbitré les Français et managé les Néo-Zélandais ». En clair, que les Kiwis avaient bel et bien volé le match et le titre aux Bleus, comme un retour de karma du quart de finale 2007 et de la demi-finale 2011 réunis…

2023 : Ben O’Keeffe, initiales B.O.K.

Le plus récent n’est pas le moins douloureux. Car si World Rugby a bien retenu officiellement 3 erreurs commises par Ben O’Keeffe contre les Bleus (pour 2 subies par les Sud-Africains), c’est bien le sentiment global de voir des Springboks faire à peu près tout ce qu’ils voulaient dans les zones de ruck qui a perturbé les Bleus. Ces derniers avaient pourtant eu un aperçu de l’arbitrage du Néo-Zélandais lors de leur délicate sortie à Lille face à l’Uruguay (28-12) : malheureusement, celui-ci n’a pas suffi… De quoi faire (une fois n’est pas coutume) sortir de ses gonds le capitaine Antoine Dupont après la rencontre, même si on peut aussi lui rétorquer que les attitudes pleurnichardes de son équipe n’ont pas vraiment contribué à se mettre O’Keeffe dans la poche, tandis que le fiel des déclarations d’avant-match de Rassie Erasmus et des Springboks avaient quant à elles manifestement aiguillé l’arbitre vidéo M. Pickerill, peu désireux d’enquêter profondément sur les prétendues « simulations » des Français…

Antoine Dupont et Ben O'Keeffe lors de France - Afrique du Sud.
Antoine Dupont et Ben O’Keeffe lors de France – Afrique du Sud. Midi Olympique.

1987 : Blanco, l’ascendant du magicien

On a toujours entendu que les grands joueurs n’étaient pas arbitrés comme les autres. Au temps du rugby amateur, cela était on ne peut plus vrai. On en veut pour preuve que lors de cette première Coupe du monde, en 1987, le « Pelé du rugby » Serge Blanco n’a pas eu beaucoup à se plaindre des décisions des officiels. Lors du match de poule contre l’Écosse, l’arrière du XV de France réussit en effet un véritable coup de Trafalgar, jouant à la main une pénalité pendant que les Écossais, persuadés que Blanco allait tenter la pénalité, s’étaient réunis en cercle, dos au ballon. Un acte pas vraiment fair-play mais permis avec la complicité de l’arbitre anglais Fred Howard. Le match nul ainsi décroché permettant aux Bleus d’éviter les All Blacks en quarts… On pourrait aussi parler de cette demi-finale d’anthologie contre l’Australie, dont l’essai de la victoire inscrit par… Serge Blanco avait au vu des images au moins deux raisons d’être annulé, entre un monumental hors-jeu d’Alain Lorieux et le plongeon victorieux de Blanco, à l’extrême limite du passage en touche.
Que M. Anderson aurait probablement aussi pu refuser à un joueur « lambda », serait-on tenté de dire…

2007 : les Blacks écœurés par M. Barnes

D’un point de vue français, on préfère évidemment se souvenir de cette rencontre par le prisme le plus flatteur. Cette incroyable réponse du XV de France au haka avec ce mur de t-shirts bleu-blanc-rouge, les 38 plaquages de Thierry Dusautoir, les mouvements formidables qui aboutirent aux essais de ce même Dusautoir puis Jauzion et bien sûr la course victorieuse de Jean-Baptiste Elissalde vers son en-but, pour propulser le ballon dans les tribunes… reste que, du côté des Blacks, le sentiment était ce jour-là tout autre. Lesquels ruminaient un en-avant manifeste non sifflé sur une transmission entre Traille et Michalak à l’origine de l’essai de Jauzion (considéré par Barnes comme « la plus grosse erreur de [sa] carrière »), et surtout ce chiffre effarant : aucune pénalité sifflée à l’encontre des Bleus lors de toute la deuxième période. Un « dossier » que Wayne Barnes, alors jeune arbitre, traîna pendant plusieurs saisons, avant de devenir le référé le plus capé du panel, qui dirigera sans doute la finale 2023 comme épilogue à son immense carrière.

La joie de la France face aux All Blacks lors du 1/4 de finale de Coupe du monde 2007.
La joie de la France face aux All Blacks lors du 1/4 de finale de Coupe du monde 2007. Philippe Perusseau – Icon Sport

2011 : Alain Rolland, à notre bon souvenir

On se souvient avec amusement que tous les commentateurs des années 2010 sortaient la même anecdote, lorsque l’Irlandais Alain Rolland officiait au sifflet face au XV de France : celle qui voulait que l’ancien demi de mêlée du XV du Trèfle avait un paternel tricolore, et parlait parfaitement la langue de Molière. Une spécificité qui ne lui fut jamais reprochée, sauf un jour. Le pire… Lors de la demi-finale opposant les Bleus au pays de galles en 2011, celui-ci dégaina dès la 18e minute un carton rouge des plus sévères à l’encontre de Sam Warburton, coupable d’un plaquage avec retournement sur Vincent Clerc. Une décision qui priva les Gallois de leur capitaine pendant une heure et pesa évidemment très fort sur l’issue du match, remporté 9-8 par le XV de France. Les hommes de la Principauté vivant ce match d’autant plus difficilement qu’il fut une des raison pour lesquels World rugby se dota d’observables pour juger de la couleur d’un carton dans ce cas de figure. Lequel n’aurait, aujourd’hui, valu qu’un jaune, Clerc étant retombé en premier lieu sur le dos…

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