Ce dimanche 3 mars, tout comme le samedi 16 mars, les 155 arbitres de la ligue Sud de rugby (Alpes-Maritimes, Var, Bouches-du-Rhône, Vaucluse, Alpes-de-Haute-Provence et Hautes-Alpes) ne sortiront pas leur sifflet.

Choqués par l’agression de leur jeune collègue niçois Simon Lloret (19 ans) par un joueur du Racing club du Las (un quartier de Toulon) le 18 février dernier, ils ont décidé de ne pas officier à deux reprises: ce dimanche avec les seniors amateurs, puis deux semaines après avec les équipes de jeunes.

La coupe est pleine

Au sein de leur corporation, la coupe est pleine. Face à une recrudescence des débordements, le directeur de l’arbitrage de la ligue Sud depuis 2020, Maurice Duny, a décidé de monter au créneau. À 70 ans, ce Toulonnais, qui a commencé à arbitrer à 39 ans et a tenu la touche en Top 14 pendant plusieurs années, tire la sonnette d’alarme.

Comment avez-vous réagi en apprenant l’agression dont a été victime l’arbitre Simon Lloret le 18 février dernier?

Les arbitres de la rencontre m’ont appelé dès que ça s’est produit. C’est un choc. Ça a fait du bruit et pris des proportions incroyables. C’est même passé sur CNews!

Certains se sont interrogés sur le choix de désigner un arbitre de seulement 19 ans pour diriger un match classé à risques…

On ne me l’a pas reproché directement mais ça se dit beaucoup. D’abord, il a le niveau, et puis, il était bien encadré avec deux juges de touche, dont l’un officie en Top 14. Et ça voudrait dire quoi, ce reproche? Que c’est la faute de l’arbitre? Simon est un jeune arbitre qui tient la route, qui a des ambitions et a besoin de s’aguerrir sur des matchs difficiles. Ses collègues m’ont rapporté qu’il avait fait un bon match, en étant courageux.

Soutenez-vous la plainte de Simon Lloret?

Évidemment, car son agresseur est un récidiviste qui avait déjà pris 365 semaines en 2011 (sept ans de suspension). La sanction sera sévère.

Cette agression est-elle un fait rare dans le rugby?

Oui, mon dernier souvenir pour un fait similaire remonte à une vingtaine d’années, quand j’étais moi-même arbitre. En revanche, il y a beaucoup d’insultes et de menaces.

C’est-à-dire?

J’ai des arbitres qui ne mettent pas de carton rouge pendant les matchs car ils ont peur. Quand ils sortent du terrain, ils se prennent des projectiles, on leur crie de tout… On n’est pas trop embêté sur les matchs de seniors mais, chez les jeunes, c’est systématique. Les jeunes arbitres se font incendier par les éducateurs. Ils sont comme des fous, ils leur disent de tout, même à des débutants qui, pour certains, veulent arrêter. Pour les filles, c’est encore pire. Elles se prennent des propos sexistes des entraîneurs, des parents. C’est dramatique.

Comment l’expliquez-vous?

Au-delà du rugby, je pense que c’est un phénomène de société. Il n’y a plus de respect de l’autorité, dans le sport comme à l’école. Il y a aussi les réseaux sociaux qui font monter la mayonnaise, les jeunes se défient toute la semaine. C’est comme ça d’ailleurs qu’on arrive à détecter les matchs à risques. On active alors un protocole, avec un discours d’avant-match, pour faire redescendre la pression mais ça recommence le dimanche d’après. Pour moi, les enfants ne sont pas plus mauvais à Toulon qu’à Nice ou Avignon, ils sont à l’image de leur éducateur. Moi, à 16 ans, mon éducateur, c’était le bon Dieu. Je criais et je priais avec lui. Quand on voit le comportement du banc aujourd’hui, on sait déjà quel va être le comportement des joueurs.

Comment réguler et sanctionner ces comportements?

On a une règle qui est simple et marche bien: si on sort un carton rouge à l’encontre d’un membre du staff, l’équipe est tenue de faire sortir un joueur et elle joue à 14. On demande à nos arbitres d’être plus sévères mais les présidents doivent aussi jouer leur rôle, auprès des éducateurs comme des supporters. Il y a deux semaines, le club de Bédarrides (dans le Vaucluse) a eu le courage de mettre à pied trois joueurs à cause du comportement de leurs parents lors d’un tournoi de M14.

Lors du même week-end de l’agression de Simon Lloret, la ligue Sud a évoqué une menace d’un arbitre avec un couteau. Qu’en savez-vous?

Ça s’est passé dans le Vaucluse. Un joueur remplaçant qui officiait comme juge de touche s’est plaint auprès de l’arbitre central qu’un spectateur lui avait montré un couteau. L’arbitre l’a cru, car il avait l’air choqué, et l’a fait changer de côté.

Que pensez-vous de la grève des arbitres?

Ils sont vraiment remontés. L’initiative vient d’eux, pas de moi. Ils sont tous solidaires et veulent marquer le coup, faire comprendre que sans eux, c’est compliqué, et donner l’occasion à tous les entraîneurs de se rendre compte de la difficulté d’arbitrer un match, de prendre la bonne décision, d’entendre les critiques… On fait des colloques, des annonces au micro pour respecter les arbitres, on classe des matchs à risques et tout ça ne sert à rien.

Les matchs pourront-ils se tenir?

Oui, ils seront arbitrés par un entraîneur diplômé d’un des deux clubs tiré au sort. Il faut savoir que cette situation se produit chaque week-end car on n’a pas assez d’arbitres (1).

Pourquoi?

Tous les week-ends, beaucoup sont indisponibles parce qu’ils sont blessés, malades ou pour raisons personnelles. Aujourd’hui, on a 33% de débutants. Pour faire un bon arbitre, il faut des années. Mais si chaque année il y a plein de nouveaux, on n’avance pas. Et le gros problème, c’est que les clubs les pensent malhonnêtes. Il faut arrêter de penser que les arbitres avantagent tel ou tel club. Un arbitre joue sa carte personnelle, il veut avoir une bonne note et monter, il s’en fout des clubs! Un ancien arbitre disait: quand j’ai fait moins de dix fautes par match, j’ai été excellent. Aujourd’hui, tu en fais une, tu fais la première page des journaux, ils veulent des mecs infaillibles.

Avez-vous peur que ça décourage des vocations?

On a des arbitres débutants qui arrêtent après deux, trois matchs mais ce qui est plus étonnant, c’est l’arrêt d’arbitres plus chevronnés qui me disent: « On ne s’amuse plus et si c’est pour vivre ça tous les week-ends, on reste chez nous. » On les insulte, on les salit. L’autre jour, une jeune fille arbitre de 16 ans m’a appelé en pleurs. Elle s’est fait insulter tout le match. « Va laver tes casseroles! », c’était le cri plus gentil… Avec ce nouveau public, c’est compliqué à gérer.

Depuis quand observez-vous ces dérives?

Depuis deux, trois ans. Chacun d’entre nous doit faire le ménage chez lui. J’ai des arbitres qui se comportent comme des supporters et insultent leurs collègues, d’autres qui injurient des arbitres du Top 14 sur les réseaux sociaux. Ils ont été punis. Sur les propos sexistes, homophobes ou racistes en tribune, il faut savoir que ça peut conduire à un arrêt de match s’il y a récidive dans le même match. Mais les arbitres n’osent pas aller jusque-là.

Quel message voulez-vous faire passer à cet instant?

Il faut qu’on retrouve les valeurs du rugby car elles ont tendance à se casser. Moi, j’ai joué à une époque où un match sans bagarre n’existait pas mais on ne calculait pas l’arbitre et on buvait des canons à la fin. Aujourd’hui, il y a une banalisation de la violence, comme dans la société. Il faut que tout le monde y mette du sien car on est sur une pente vertigineuse.

1. Un arbitre gagne 70 euros par match avec les indemnités kilométriques en plus.

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