Le long combat des arbitres féminines de football pour accéder au haut niveau

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Pour la première fois dans l’histoire de la Coupe du monde féminine de football, la Fifa a fait appel à un trio de femmes arbitres de nationalité française pour diriger certaines rencontres de la compétition qui se déroule du 20 juillet au 20 août 2023, en Australie et en Nouvelle-Zélande. Pour cette édition, l’arbitre centrale chevronnée Stéphanie Frappart fera équipe avec ses compatriotes arbitres assistantes Manuela Nicolosi et Élodie Coppola.

Si cette nouvelle apparaît a priori comme un signe de bonne santé de l’arbitrage féminin français, elle met également en lumière l’incapacité de la Fédération française de football (FFF) à « fournir », jusque-là, à la Fifa, trois femmes arbitres pour officier sur des événements de grande ampleur.

À LIRE AUSSICoupe du monde féminine : quand et où regarder les matchs de l’équipe de France de football ?Quelle est donc la situation actuelle de l’arbitrage féminin en France ? Quelle est la place des femmes arbitres dans le football ? Quels sont les freins qui les empêchent de faire carrière ?

La lente évolution de l’arbitrage « féminin »

À la fin des années 1960, la FFF accepte (enfin) que des femmes deviennent arbitres officielles de football. Cette entrée dans l’arbitrage ne se fait pas sans mal. Ces pionnières ne sont, par exemple, autorisées qu’à arbitrer des matchs d’enfants ou d’adolescents. Mais qu’importe, Marie-Anne Bessard, Geneviève Zak ou encore Martine Jayais ont ouvert une porte.

En 1970, au moment où la FFF reconnaît officiellement le football féminin, cette dernière a déjà délivré le titre d’arbitre à une quinzaine de femmes. Si certaines abandonnent rapidement, d’autres, comme Antoinette Pluet ou Nicole Piveteau, se maintiennent et parviennent même à arbitrer des matchs de seniors au niveau régional. Dix ans plus tard, en 1980, elles sont près de 120, mais aucune d’elles n’officie au-dessus du niveau local.

Dans les années 1990, la Fifa décide de confier l’arbitrage des matchs internationaux de football féminin à des femmes. Accusant un certain retard en matière de développement de l’arbitrage féminin, la FFF n’est pas en mesure de proposer la candidature d’une Française disposant des compétences nécessaires pour officier sur ces matchs.

Pour remédier au problème, l’ancien arbitre international, alors président de la Commission centrale des arbitres de la FFF de l’époque, Michel Vautrot, réalise un recensement des femmes arbitres susceptibles d’accéder immédiatement au haut niveau en tant qu’arbitre assistante. Nelly Viennot fait partie de ces femmes ayant bénéficié de cette promotion accélérée. Elle devient en 1996 la première femme à officier en première division du Championnat de France de football professionnel (PSG-Martigues), en tant qu’arbitre assistante.

1 000 femmes pour 20 000 arbitres

Alors que l’on pensait que Nelly Viennot avait brisé le « plafond de verre », il faudra attendre 23 longues années et l’été 2019 pour qu’une nouvelle femme, en la personne de Stéphanie Frappart, soit nommée en Ligue 1, en tant qu’arbitre centrale cette fois. Durant plus d’un demi-siècle, la féminisation de l’arbitrage s’est donc poursuivie, mais les femmes demeurent toujours en faible nombre dans le milieu.

En 2023, on ne dénombre qu’un peu plus de 1 000 femmes arbitres sur les 20 000 que compte la FFF. En plus d’être rares, les femmes arbitres sont aussi sous-représentées au plus haut niveau du football français puisque seules trois femmes (pour 86 hommes) officient dans les championnats professionnels masculins de Ligue 1 et Ligue 2 : Manuela Nicolosi et Camille Soriano sont arbitres assistantes en Ligue 2 tandis que Stéphanie Frappart est toujours arbitre centrale en Ligue 1. Elle a par ailleurs été la première femme à arbitrer un match de Coupe du monde masculine au Qatar en 2022.

Les autres femmes arbitres évoluent dans les plus basses divisions du football masculin ou restent cantonnées à l’arbitrage de matchs de football féminin, jugés moins prestigieux dans le milieu. Cette répartition des femmes dans l’arbitrage laisse penser que derrière les discours institutionnels affichant une bonne volonté en matière de mixité se cache une division sexuelle du travail.

Des critères de sélection et des conditions d’exercice défavorables aux femmes

Pour justifier la faible présence des femmes dans l’arbitrage en général et au niveau fédéral en particulier, les dirigeants de l’arbitrage font souvent référence aux exigences physiques que nécessite la pratique.

Les femmes n’arriveraient pas à rivaliser avec les hommes, notamment lors des tests physiques de présélection. L’exemple illustrant le mieux le frein que représente le passage des tests physiques à l’accession et l’ascension des femmes dans l’arbitrage reste sans doute celui de Nelly Viennot, qui, sélectionnée par la Fifa parmi 82 candidats pour participer aux épreuves de sélection des arbitres assistants pour la Coupe du Monde 2006, avait échoué, lors du test de sprint, pour deux dixièmes de seconde seulement. Elle aurait été la première femme à officier lors d’une Coupe du monde masculine.

Les dirigeants justifient les écarts de performance entre les hommes et les femmes par les différences biologiques entre les sexes et passent totalement sous silence l’histoire de la pratique féminine, qui montre pourtant que l’investissement des femmes dans l’arbitrage et le sport en général est tardif, et que ce déficit historique se traduit en déficit institutionnel dans la fabrique des femmes arbitres.

L’ordre établi semble dès lors légitime puisque les qualités tirées de la « nature » permettent de rendre acceptables les inégalités de réussite. Si les dirigeants regrettent publiquement la situation, ils n’envisagent pas pour autant d’adapter ni les critères de sélection ni les barèmes des tests physiques et ont même tendance à les rehausser régulièrement ; d’autant plus que Stéphanie Frappart parvient, elle, à répondre aux obligations.

À LIRE AUSSICoupe du monde féminine : les boulettes de la ministre de l’Égalité femmes-hommesMalgré ces exigences, l’arbitrage n’est pas une activité professionnelle. Les femmes arbitres ont un travail par ailleurs. Elles doivent donc concilier leur activité professionnelle, l’arbitrage et leur vie personnelle. Deux dimensions sont alors déterminantes. La première concerne l’organisation familiale. Les femmes qui se maintiennent à un niveau de responsabilité fort font parfois état de tensions dans leur couple, qu’elles réussissent à réduire en négociant ou redéfinissant les rôles de chacun. Ces situations confortables sont souvent fragilisées par les grossesses et congés maternité, autant de causes d’interruption de carrière, parfois définitive, ou de déclassement lors de la reprise de l’activité. Ces exemples forcent certaines femmes à faire le choix de la carrière plutôt que de la maternité.

La seconde dimension est la stabilité professionnelle des femmes arbitres. Les Françaises ont massivement investi le marché du travail mais restent davantage concernées par les emplois sous-qualifiés et plus exposés aux aléas sociaux. Leur niveau d’investissement dans l’arbitrage varie donc en fonction du contexte professionnel dans lequel elles évoluent.

La plupart des femmes arbitres de haut niveau témoignent d’une situation professionnelle privilégiée. Pour améliorer les conditions de vie des femmes arbitres, la FFF a, au début de la saison 2020/2021, signé un contrat de prestation de service d’une durée de 1 à 3 ans avec huit d’entre elles. Ces dernières perçoivent désormais, en plus des indemnités de match, une rémunération fixe mensuelle censée leur permettre d’évoluer plus sereinement.

Acceptées… à condition de faire différemment

Si les femmes arbitres ne sont pas catégoriquement exclues de la pratique de l’arbitrage, c’est à condition qu’elles fassent différemment de leurs homologues masculins et qu’elles répondent à certaines assignations liées à leur genre. La mixité recherchée par les dirigeants fédéraux implique forcément cette différence entre hommes et femmes et aboutit à une vision essentialiste des compétences, selon laquelle les femmes auraient des qualités propres et présupposées différentes de celles des hommes.

Ainsi, les femmes arbitres se voient accorder une capacité particulière à canaliser les émotions des joueurs et des entraîneurs grâce à leur supposé sens développé de la conciliation, de l’écoute et à leur douceur. Elles restent donc toujours des femmes avant d’être des arbitres (compétentes). Lorsqu’elles réalisent de bonnes performances, elles le doivent bien souvent non pas à leurs aptitudes mais à leurs atouts « féminins ». C’est ce qu’explique un dirigeant de la FFF venu superviser une femme arbitre, à l’issue d’un match pourtant engagé, en inscrivant sur le rapport d’évaluation que cette dernière a maîtrisé son match « bien aidée par [son] sourire qui a évité toute contestation ».À LIRE AUSSICoupe du monde féminine : la (nouvelle) causerie culte d’Hervé Renard avant France-BrésilLes joueurs et les entraîneurs, dont les propos sont souvent repris par les médias, seraient même prêts à faciliter la tâche des femmes arbitres, ce qui expliquerait qu’elles puissent (parfois) arbitrer convenablement. En 2019, Christophe Galtier, à l’époque à la tête du LOSC, vantait par exemple la « diplomatie » de Stéphanie Frappart :

« Quand on est entraîneur, homme, on est sous pression, on s’énerve… Il suffit qu’elle sorte un regard, un sourire, un geste… et ça s’arrête […] Est-ce qu’il y aura plus de respect ? Automatiquement, c’est la nature de l’homme, il y aura plus de retenue dans les propos. »

Si tous ces comportements paraissent a priori bienveillants, en renforçant les stéréotypes de genre, ils participent en fait d’une part à l’infantilisation des femmes arbitres et d’autre part à la reproduction d’un ordre genré.

Pour le sociologue Erving Goffman, les pratiques de galanterie et de sollicitude excessive conduisent chacun à rester à sa place. Quant à Pierre Bourdieu, il explique que l’attribution aux femmes de dispositions valorisantes ne fait pas disparaître la domination masculine car elle accorde les préjugés favorables au sexe féminin pour mieux le dévaloriser.

D’autant plus qu’un grand nombre de femmes arbitres considèrent les qualités « féminines » qu’on leur attribue comme une ressource : « Un arbitre homme va souvent entrer dans le rôle du gendarme, strict et assez fermé. Le fait de voir une femme qui parle différemment et se montre plus souple est un atout », explique l’une d’entre elles. Les femmes arbitres se parent donc de caractéristiques secondaires comparées à celles qui sont habituellement attribuées et recherchées chez un bon arbitre (homme) de football comme la fermeté, l’autorité, le sang-froid.

Lucie Le Tiec, maître de conférences en sociologie ; Laboratoire Centre de recherche sur l’industrie, les institutions et les systèmes économiques d’Amiens (CRIISEA), Université de Picardie Jules Verne (UPJV).

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