Samedi de match à l’hippodrome de la ville d’Auch, au cœur du Gers. Sous un soleil de plomb, huit équipes du département s’affrontent dans un tournoi de préparation de début de saison. Des gamins de moins de 19 ans se jaugent dans la sueur. Les maillots sont floqués au logo de la boucherie du coin. Les chaussettes sont parfois dépareillées. Le cuir vole de main en main. Quelques piliers arborent la coupe mulet, à la mode chez les Australiens. Sur le bord du terrain, les familles, les copines, les sœurs, les potes et une armoire à glace nommé Kévin Ribreau. Il porte une casquette, une barbe drue et scanne les joueurs. Cadre technique au comité départemental, il essaie de repérer les meilleurs.
Voilà une dizaine d’années, il entraînait à Auch d’autres gamins, devenus grands : Anthony Jelonch, Antoine Dupont, Grégory Alldritt, Pierre Bourgarit. Par tous les temps, ils foulaient l’herbe des terrains de l’hippodrome. Tous sont en équipe de France aujourd’hui, avec la mission de décrocher le Saint-Graal. Comment quatre mousquetaires venus de villages du Gers et des Hautes-Pyrénées, plantés dans un cercle d’à peine 50 kilomètres de diamètre, ont-ils pu se hisser au sommet de leur sport ? « Il n’y a pas de hasard, que des rendez-vous », écrivait Paul Éluard. Nous sommes venus en terre gasconne pour essayer de raconter le rendez-vous de ces garçons avec l’histoire de leur sport.
Soudain, sur le terrain, un placage trop haut, immédiatement suivi d’une droite au menton ! L’escarmouche fait tache d’huile. Les bleus foncent sur les rouges, les rouges se ruent sur les bleus : c’est une « générale », une bagarre dans le folklore du rugby. Ce n’est pas beau. Ce n’est pas si grave. Ici, la violence n’est pas gratuite : elle est généreuse et c’est incompréhensible pour qui n’a jamais foulé un terrain. On donne, on reçoit, on éprouve son courage, sa solidarité et, dans une heure, ces gamins discuteront ensemble au bar et compareront leurs blessures en plaisantant. En attendant, une mère de joueur court après son fils en l’engueulant, l’arbitre s’époumone et Kévin rappelle aux gamins qu’« on n’est pas là pour ça ! » Fin du match. Les membres des deux équipes se serrent la main. « Les quatre Bleus qui viennent d’ici ont tous en commun un mental exceptionnel, qu’ils ont forgé ici, dans la stabilité des petits clubs, à la dure », résume Kévin.
Sur les terrains, la violence n’est pas gratuite: elle est généreuse.
Deux jours plus tôt, dans le minuscule hameau du Parré, 40 habitants à la louche, c’est aussi jour de match. Les Bleus de Fabien Galthié affrontent l’Uruguay. Pour le grand retour d’Anthony Jelonch, nommé capitaine six mois après sa blessure au genou, sa famille, qui habite dans ce paysage vallonné, a organisé un raout. Dans le préau de l’ancienne école de ce petit bout de France éternelle, transformé en salle des fêtes, on a cuisiné sous un soleil rasant, des salades de pâtes, grillé des saucisses de sanglier, tiré du vin nouveau et tendu un écran géant. Des maillots de tous les clubs et les pays affrontés par Anthony Jelonch décorent la charpente. Presque cent invités, des proches, la famille, sont venus assister au retour du fils prodige. Des bérets sirotent un pastis, deux gamins enchaînent les passes vrillées. Juste à côté de la fête, une balançoire a été transformée en poteaux de rugby, repeints aux couleurs de la France. C’est ici que Jérôme Jelonch a convaincu son fiston, alors moins haut qu’un ballon, de choisir l’ovalie. « Il voulait jouer au foot, raconte le père avec un accent rocailleux. J’ai tapé entre les poteaux devant lui, il a regardé, j’ai attendu, il a essayé, et il a mordu à l’hameçon. Je l’ai eu au téléphone cet après-midi. Comme toujours, il m’a juste demandé ce que j’avais fait dans la journée. Après sa blessure, je lui ai promis de lui construire une palombière et que, le jour de la finale, je tirerai des appeaux avant de le regarder jouer. Depuis, il me fout la pression. Il m’oblige à travailler ! » Juste retour de bâton. Anthony Jelonch vient de la terre. Son père, agriculteur, lui a inculqué que rien ne poussait sans effort, qu’une récolte pouvait être perdue en dix minutes de grêle et qu’il fallait apprendre à se relever. Il s’est forgé un corps musculeux en découpant des stères de bois le soir après l’entraînement. Il conduisait le tracteur à 8 ans.
Jérôme Jelonch a convaincu son fils de choisir l’ovalie plutôt que le foot
On parle des quatre champions du cru, tous copains depuis leur première égratignure au genou. Jérôme Jelonch, volubile, leur trouve à tous un point commun : « Antho, il ne parle pas. Et ils sont tous pareils. Ils ne communiquent pas leurs sentiments, ce sont des taiseux. Mais ils sont si soudés qu’ils se comprennent en se regardant. » À l’écran, les hymnes retentissent devant des travées de chaises pliantes. Fanny et Charline Jelonch décrivent un frère toujours calme, heureux, le genre de bonhomme creusé dans un baobab qui sourit à celui qui l’insulte : « Quand il était petit, c’est papa qui le coachait. Parfois, ça gueulait fort. Un jour, un adulte au bord du terrain dit à mon père, alors entraîneur de l’équipe, de ne pas parler comme ça à Antho. “Celui-là, c’est le mien, je lui parle comme je veux !” répond le paternel. Il était encore plus exigeant avec lui. » Charline se rappelle les bêtises d’Anthony, au lycée, avec son acolyte Antoine Dupont, devenu la star du rugby mondial. Les deux gamins sont inséparables. Parfois, ils s’ébouriffent les cheveux en mettant les doigts dans la prise pour faire rire l’assistance. Dans un tournoi minime mixte, à l’âge où les filles sont plus grandes que les garçons, « Antho », futur bulldozer rude à l’impact, se fait retourner par une jeune fille : « Il a pris un “cul”, comme on dit. On a beaucoup ri. Il était tout rouge. Je ne réalise toujours pas qu’il ait atteint ce niveau. C’est quand il y a tout cet engouement qu’on comprend, parce que lui, il ne change pas, il reste le même. » À l’écran, la France balbutie son rugby. L’Uruguay fait forte impression. Au premier rang, Floriane regarde son fils avec des yeux pleins de fierté : « S’il n’avait pas réussi, ça n’aurait pas été un échec. On est une famille joviale, on est simple, on ne se prend pas la tête. »
Le lendemain, devant la cathédrale d’Auch, au bar Le France, Cyril Garnier et Jean-Marc Béderède décrivent la prime jeunesse de ces quatre fantastiques. Cyril les a entraînés en cadet, Jean-Marc en Crabos, l’élite des moins de 18 ans. Cyril se souvient que les joueurs sont arrivés au club d’Auch par paires : d’abord Dupont et Jelonch. Alldritt et Bourgarit, l’année d’après.
« Antoine était déjà exceptionnel, avec une technique folle, une lecture du jeu improbable. Anthony, lui, était dur au mal, fort sur l’homme, casseur de ligne, il en a “soigné” un paquet. Bourgarit et Alldritt avaient déjà un mental incroyable qui fait la différence. » L’entraîneur se souvient que les quatre lascars aimaient se faire mal : « Souffrir, ça s’apprend. Et eux aimaient ça. Mais il faut comprendre que cela fait partie de la culture de la région. Ici, un type très technique, s’il ne va pas au combat, on ne le prend pas. On leur apprend cette culture tout petits. Ce sont des mecs qui gagnent plein de matchs avec un point d’avance et ce n’est pas un hasard. Il y a une cohésion, une culture de la gagne. Auch véhicule ces valeurs-là. Les autres savent que lorsqu’ils affrontent une équipe du Gers, ça sera rude. Tu joues un département rural, des gars qui viennent de la terre. Leur point fort : ils ne mentent jamais, ils ne trichent jamais. Pour un entraîneur, c’est de l’or. Ces mecs ne lâchent jamais, ils ne te donneront jamais un mètre sur le terrain. Ils combattent pour leurs copains. »
Le calme de la vie dans le Gers
Pour former ces corps et ces âmes, Cyril levait ses joueurs à 6 heures du matin et, sur une route en pente, ils devaient décharger le plus vite possible une remorque pleine de bois. D’autres fois, ils portaient des roues de tracteur ou des bottes de paille, ils devaient trouver une cohésion, se relayer, s’entraider : « Ton cerveau annonce à ton corps qu’il est mort à partir de 30-40 % de fatigue. Il lui faut apprendre à ignorer ce message. » Jean-Marc ne dit pas autre chose. Aujourd’hui manager performance à la fédération, il gère le projet « haut niveau » des équipes de France. Au début des années 2010, il entraîne les Crabos à Auch : « Toto, ça mouline, il réfléchit sans arrêt, Antho, il a une capacité à enchaîner, Burgui, il a l’explosivité, Greg, il est très fort au contact. Dupont avait dès le début quelque chose de spécial, mais je n’aurais pas imaginé que les trois autres explosent à haut niveau. Ils se sont construit un corps qui supporte la charge de travail. Il a fallu s’entraîner à s’entraîner. »
Comme Cyril Garnier, Jean-Marc Béderède n’en revient pas d’avoir eu autant d’or dans les mains : « Quatre bestiaux sur deux années, ce n’est pas courant. C’est le rêve de tout entraîneur, ça fait plaisir, ça valide nos méthodes. Tout ça s’est construit peu à peu. » En 2010, Jean-Marc monte un projet pour emporter la finale du championnat de France Crabos. Quatre ans plus tard, les gamins « bouseux », Dupont et Jelonch, arrivent en finale devant le Racing. Les « paysans » perdent sur une erreur d’arbitrage. « Le niveau d’émotion était énorme, ça a uni les gars. Regardez les hymnes, ils sont toujours collés ensemble encore aujourd’hui. »
Fiers de leur boulot, les entraîneurs louent aussi les conditions d’épanouissement dont ils ont bénéficié, le calme de la vie dans le Gers, les projets scolaires, les familles soudées derrière : « On a créé un jardin, on a semé des graines. De l’eau, du soleil, de l’ombre, ça a poussé. » Terence et Martine Alldritt, les parents de Greg, ont participé à cette plantation de champions à leur manière. Ils préparaient les goûters, accueillaient les troisièmes mi-temps dans leur grande maison : « On préférait qu’ils fassent la fête chez nous, en sécurité ! L’hiver, on allait suivre les matchs le samedi dans la boue de l’hippodrome ! On est unis avec les parents de Toto, de Bourga, de Jelonch. Et les grands-parents aussi. On a transmis à Greg le goût de l’effort, on lui a dit qu’il pouvait être acteur de sa vie, mais qu’il fallait de la discipline, que tout se méritait. »
Au fil des rencontres se dessinent peu à peu les portraits des mousquetaires. Anthony, la bonne pâte toujours content, toujours optimiste, que rien n’ébranle : « Il y a deux ans, on est parti en Corse, raconte son ami Rémy Huertas. C’était ses premières vacances. Il était tellement discret que je ne suis même pas sûr qu’il était là. » Bourgarit, l’animateur hyperactif, le type qui se déguise en sumo la veille du bac et plaque ses camarades de jeu dans la cour de récré : « Il a commencé tard, vers 11 ans, raconte Michèle, sa maman. La première fois, en descendant du bus, le prof de sport demande à me voir, je me dis qu’il a encore fait une bêtise ; mais non, il m’a conseillé de le mettre vraiment au rugby à Gimont. » ; Greg Alldritt, leader né, réfléchi, dernier d’une fratrie de trois tronches, les deux autres sont ingénieurs.
« Quatre bestiaux sur deux années, ce n’est pas courant. C’est le rêve de tout entraîneur »
Reste à déchiffrer l’énigme Antoine Dupont, fils de restaurateur et meilleur joueur du monde, dont les portraits géants s’étalent partout en France. Visage impassible, sourire de Monna Lisa des terrains, impénétrable. En terrasse devant le restaurant familial, à Castelnau-Magnoac, petit village de 800 âmes où il a grandi, son grand frère, Clément, nous aide à comprendre le phénomène des quatre mousquetaires et le phénomène Dupont tout court : « Ici, les clubs sont centenaires, c’est un territoire de rugby depuis toujours. Ça se transmet de génération en génération. Les gens sont imprégnés. Pas illogique que des gars, parfois, deviennent de bons joueurs. Les conditions sont favorables. » Reste le terrain génétique : « Antoine, il a toujours été bon dans tous les sports qu’il a touchés, foot, basket, boxe, ping-pong, il vous met une raclée partout, sauf à la pétanque peut-être. Il a la gestuelle, c’est inné. Dans la famille, on ne voulait pas en faire un champion, c’est lui qui a toujours été le principal moteur de son envie. » Clément hésite à donner des anecdotes d’enfance. « Ce que je vous raconterais ne le définit plus aujourd’hui. » Gamin, « Toto » est turbulent, difficile à canaliser. Mauvais perdant. Aux cartes, il change les règles en cours de jeu. Toujours gagner ! « On lâchait, il était content. » Mais l’ado connaît une maturité rapide. Il devient un homme réfléchi, qui ne s’épanche pas, qui n’est jamais dans la réaction. Ainsi, après la parution du numéro de “Valeurs actuelles” qui mettait en une son visage et celui de Dujardin, il a retweeté le message de ce dernier : « La France rugby oui, vos valeurs non. Pas de récupération. » « Il a attendu quatre jours avant de réagir. Nos grands-parents étaient maires de leurs communes respectives, RPR et PS. Quand tu es une personnalité publique, que tu le veuilles ou non, tu es politisé. C’est bien qu’il se soit désolidarisé. »
Alldritt, Jelonch et Dupont sont tous membres d’un groupe sur WhatsApp, la Meute. Avec une dizaine d’autres joueurs, ils échangent des nouvelles, des blagues, des conneries de leur âge. Les liens sont forts. Colocataire de Dupont pendant trois ans, Rémy Huertas fait partie du groupe. On le retrouve à l’entraînement au stade Fouroux, à Auch, et il se marre : « Toto, il va garder pour lui un truc qui l’énerve, il va ruminer, puis un jour, il va te lancer sans prévenir, de façon très officielle : “Faut qu’on parle, faut que tu fasses la vaisselle, sinon ça m’énerve.” Un jour, on lui a fait un cadeau collectif. Il ne savait pas quoi répondre. Il nous a dit qu’on était cons. Puis il nous a fait la bise. C’est pas compliqué, “Toto”, il n’a pas les mots. Mais dans la Meute, on se comprend. On se comprend qu’entre nous, au fond. »
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