Stade Delaune, quartier du Pont-du-Las à Toulon, dimanche après-midi. Le Racing club du Las, (6e de sa poule de Régionale 2), reçoit le Rugby club du Beausset, deuxième. Un match amateur comme il s’en joue des milliers tous les week-ends sur les terrains de l’ovalie française. Sauf que celui-ci va entrer dans l’histoire pour de sinistres raisons.
Remontons d’abord à début novembre, lors du match aller joué au Beausset. Un match tendu. Très tendu même puisqu’il avait été arrêté au bout de 15 minutes seulement après une énorme bagarre générale avec envahissement du terrain. Autant dire que le match retour s’annonçait… tonique. Pour « se protéger » les dirigeants du Beausset avaient demandé à la Ligue Sud le classement de la rencontre « à risques », permettant de bénéficier de deux arbitres de touche et d’un représentant fédéral en plus de l’arbitre de champ. C
omme attendu, c’est une salade de phalanges qui est au menu du début de rencontre. Les coups, les insultes et les cartons pleuvent mais l’arbitre de champ, Simon Lloret, fait en sorte de mener le match à son terme. À la 75e minute, le jeune directeur de jeu de 19 ans siffle une pénalité en faveur du Beausset. Le pilier lassipontain Anthony V. râle contre cette décision. En conséquence, son équipe est invitée à reculer de dix mètres. La pénalité est convertie, portant la marque à 17-10 en faveur des visiteurs.
« J’ai reçu un coup de poing par-derrière »
La suite, c’est Simon Lloret qui la raconte : « En se replaçant, ce même joueur m’insulte et me dit : “T’inquiète pas, je vais te ramener à ta voiture !” Je lui donne alors un carton rouge, sans aucune hésitation. Je me dirigeais alors vers le centre du terrain quand j’ai reçu un coup de poing par-derrière au niveau de la mâchoire. Je suis tombé, KO. » L’arbitre reste de longues minutes au sol, inconscient. Lorsqu’il reprend connaissance, ses juges de touche lui disent de siffler la fin du match.
Plus tard, donnant des signes rassurants, Simon Lloret insiste pour rentrer seul en voiture chez lui à Nice et se rend aux urgences du CHU Pasteur. Il est alors 20 h 30. « J’ai eu des maux de tête et j’ai vomi deux fois lundi », raconte l’arbitre contacté mardi par téléphone. Le soir même des faits, le Racing club du Las et son président Patrick Aicardi ont viré le coupable, condamnant ensuite « un acte déplorable qui jette le discrédit sur la totalité du club ».
Son fils et talonneur Anthony, présent sur le terrain, donne son ressenti : « Le match était rude, mais comme on en joue souvent. Il y avait eu deux jaunes, un rouge, c’était OK, l’arbitre tenait son match. Sauf qu’à cinq minutes de la fin, notre joueur a complètement craqué. Il a fait un geste impardonnable. Nous n’avons pas les mots… Le hasard fait qu’il devait sortir sur l’action suivante, mais on n’avait pas mesuré qu’il pouvait faire ce geste. Nous voulons vraiment expliquer que c’est un geste isolé. On a immédiatement pris l’arbitre en charge. On s’est excusé, on a prévenu le patron des arbitres de la région et le président de la Ligue Sud pour s’excuser. » « On est choqué. On a pris des coups, moi j’ai eu le nez cassé dans le jeu, ça reste du rugby, mais on n’est pas habitué à cette violence-là », estime Raphaël Navarrete, le président-joueur du Beausset.
Une violence que les acteurs de la rencontre ne parviennent pas à expliquer. Certains évoquent un joueur en souffrance dans sa vie personnelle. Il avait repris le rugby après 6 ou 7 ans d’arrêt. Ses camarades décrivent quelqu’un de « non violent, gentil, presque nounours » même s’il est un habitué de la commission de discipline.
« Il était attristé, s’est excusé et a compris que c’était grave, rapporte Anthony Aicardi. Mais ce n’est pas suffisant et il ne fait plus partie de l’effectif. Son geste est impardonnable. Nous n’avons pas ces valeurs-là. Vous savez, ça a mis un froid au sein de tout le club. Le groupe est anéanti. Je n’avais jamais vu ça. Certains mecs m’ont dit qu’ils arrêtaient immédiatement, qu’ils ne mettraient plus les pieds sur un terrain. On vient pour profiter, pas pour se battre. Et encore moins pour frapper un arbitre… Je suis partagé entre la tristesse, la colère, la révolte… »
« Je suis sous le choc, comme tout le club, avoue Stéphane Durand, joueur et responsable des arbitres du Las. Quand ça s’est produit, j’ai vu des mecs de 130 kilos, de 35 ans, exploser en larmes. L’un des coachs a fait un malaise… On n’a pas compris. Un match peut être intense, mais ça, ça ne doit jamais plus arriver sur un terrain. Tu peux avoir un gros tempérament, répondre par un bon plaquage, mais t’en prendre à un arbitre… La ligne rouge a été franchie. Après la rencontre, j’ai démissionné de toutes mes missions auprès des seniors. Je ne peux pas cautionner, avance-t-il en pensant en premier lieu à son collègue. Simon est un jeune arbitre très prometteur et juste, qui sait s’adresser aux joueurs. Je lui ai répété qu’il fallait qu’il continue car il a du talent, qu’il est fait pour ça. Ce qui lui est arrivé est impardonnable, mais ne doit pas remettre en question sa passion pour l’arbitrage. »
Une plainte déposée
« Je compte bien continuer à arbitrer car je souhaite aller le plus haut possible et je ne vais pas m’arrêter pour quelqu’un comme lui, qui ne pense pas aux autres », coupe court l’étudiant à l’Edhec Business School de Nice qui a porté plainte pour « coup et blessure sur un officiel de match », la Ligue Sud de rugby souhaitant se porter partie civile. Si cette agression est un fait isolé, le jeune homme originaire de St-Martin-de-Crau (13) constate une dérive plus importante depuis plusieurs mois. « La nervosité des joueurs et les mauvais gestes sont de plus en plus présents depuis la Coupe du monde de rugby [entachée par des polémiques sur l’arbitrage]. Je sors un carton rouge pratiquement à chaque match alors que sur toute la saison dernière, j’en avais donné quatre ou cinq. »
Lors de ce même week-end, la Ligue Sud a dénoncé d’autres faits : arbitre de touche menacé avec arme blanche, propos haineux envers des dirigeants, jeunes joueurs agressifs… Autant de débordements isolés qui, mis bout à bout, ressemblent à une tendance délétère.
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